Mais qui suis-je, au fait ?

Marma
5 min readMay 19, 2023

Je suis né des ténèbres, descendant du néant. Je suis le bourgeon d’une des milliards de milliards de branches qui me relie aux racines de l’existence, composé de particules datant de l’origine de l’univers. À mon commencement, je n’étais que faim, froid et fatigue. Aujourd’hui, je suis une myriade de questions. Pourquoi suis-je ici ? Quel est le sens de tout ça ? Où dois-je aller ? Que dois-je faire ? Et bien entendu : qui suis-je, au fait ?

Armé du langage et des outils réflexifs qui sont dans l’ère du temps — le rationalisme et la science — la question « qui suis-je » ne résiste pas longtemps. Je suis l’agencement original de toutes mes expériences vécues dont j’ai le souvenir et des liens que j’ai pu établir entre elles. À chaque seconde, mon inconscient traite les informations transmises par mes cinq sens, les interprète en fonction de mes expériences et prend une décision avant même qu’elle n’émerge à mon conscient. Chaque nouvelle expérience dépendant de la précédente, la répétition de ce cycle cimente mon être, me rendant de plus en plus prévisible, destiné à avancer sur des rails jusqu’au terminus de l’existence. Mon libre arbitre n’existe que dans un imaginaire, fruit de mon égo, qui refuse d’accepter le déterminisme implacable de la vie.

« Non. Ce n’est pas possible. Il doit y avoir plus. Plus à dire, plus à faire… »

« Oui. » « Oui » nous dit la culture, la littérature, l’histoire humaine, l’imaginaire, l’irrationnel, l’interdit… Tout ce qui est proscrit, sale, vil, banal, tout ce qui reste d’humanité dans cet Univers rationalisé. Qui suis-je ? Je suis en quête perpétuelle, depuis ma naissance, programmé pour ne jamais m’arrêter, pour aller plus loin. Quand bien même la terre est-elle plate, quand bien même je risque de tomber de ses bords dans un abysse sans fond, j’irais car je veux savoir, je veux voir, je veux nourrir mon esprit d’expériences toujours plus savoureuses, plus originales les unes que les autres, toutes contradictoires, pour créer des embranchements qui emporteront mon esprit et mon corps ailleurs, pris par surprise, béat d’émerveillement, trouver un trésor et le perdre pour un autre que je n’ai pas encore, que je n’aurais peut-être jamais, mais qui est plus magnifique et mystérieux que tous ceux que j’ai eu auparavant.

Qui suis-je ? Je suis le dégout, la paresse et l’ennui. Tout m’est connu, la Vie a perdu ses mystères. Tous les dieux, anciens et nouveaux sont morts, l’homme-dieu s’est hissé à leur place, déféquant de son âme putride sur leurs trônes idéaux jadis immaculés et purs. Je sais tout, je vois tout : la composition des choses n’a plus de secrets. Tout est molécule, atome, et le peu d’inconnu a perdu toute saveur. La théorie des cordes, le Big Bang, quelques mots simples pour tenter de cerner l’incernable, appréhender l’inappréhendable, voler le tour du magicien sans y réinsuffler la moindre magie.

Qui suis-je ? Je suis un homme-dieu qui, en vertu de ses nouveaux pouvoirs et en collaboration avec d’autres hommes-dieux, a pu donner naissance et entretenir les seuls Démons à fouler cette terre, des êtres mort-nés et pourtant, tellement puissant qu’ils enchainent des générations d’humains les unes après les autres. Ils ont pour objectif de normaliser les rails pour que l’humanité entière, une fois sous leur joug, avance telle une machine bien huilée inlassablement dans une seule et même direction. D’homme-dieu, je suis devenu une fourmi travailleuse, anonyme, remplaçable ; travailler pour vivre, vivre pour travailler, métro popo dodo, métro école dodo, métro boulot dodo, métro dodo, dodo, dodo…

Qui suis-je ? Je suis Doctorant summa cum lauda, Maître et Dieu incontesté de mon microcosme, petit rouage spécialisé qui tourne sur lui-même sans relâche, sans répit, s’imbriquant à la perfection à tous ces autres rouages qui tournent, tournent et tournent encore pour retourner les tripes du Monde.

Qui suis-je ? Je suis un être libre, je peux tout faire ou loin s’en faut. Demain ? Je peux m’envoler au bout du monde, grimper au-dessus des nuages, m’ensevelir sous la terre.

Pourtant je suis la, je reste la, je suis las, car ma liberté était le trésor ultime que je me devais de chercher, celui-là même qui était plus magnifique et mystérieux que tout. L’ironie suprême a voulu que je naisse dans le Système le plus pernicieux et le plus sophistiqué jamais inventé par les hommes-dieux : celui qui est arrivé à assimiler l’unidirectionalité à la liberté transformant ma quête en course mesurée, métro boulot dodo, mais en toute liberté. Le Diable a gagné. Alors que l’Univers est sans fin, l’histoire, elle, s’est arrêtée. Ça y est, on a trouvé, bien sûr, rien n’est « parfait », mais c’est le mieux qu’on ait trouvé. A présent, rien ne sert de chercher car pour changer quoi que ce soit, encore faut-il démontrer qu’on a mieux à proposer, en se basant bien entendu sur des étalons de mesure posés par le système lui-même. Ainsi, des sociétés tribales, en passant par les premiers Empires, les grandes civilisations des quatre coins du globe, la chute des Empires, la naissance des Etats, l’avènement des Rois passant du trône à la guillotine, l’immuable lutte de l’humanité contre ses propres créations devrait s’arrêter ?

Qui suis-je ? Je suis l’étincelle inextinguible rattachée à toute âme, celle qui brise les murs, qui surmonte les montagnes, celle qui cherche et détruit les menottes et contraintes quelles qu’elles soient. J’ai vaincu les Empires, j’ai vaincu les Rois, je vaincrais aussi le Diable qui me susurre de sa petite voix de déposer mes armes car j’ai gagné le combat. On m’appelle liberté, mais je suis plus que ça. Je suis la curiosité, la quête éternelle, celle qui cherche sans savoir ce qu’elle cherche, sans but, sans morale, sans bien, sans mal, sans limites, sans fin, imbriquée au plus profond des chromosomes de la vie. Je m’étends en tous sens, je suis l’incarnation du libre arbitre, car tant que je suis vivante, demain, tout reste possible.

Qui suis-je ? Je suis l’infini, car il n’y a que l’infini qui fait de moi un être humain à part entière.

Texte écrit en 2016, qui a déclanché toute une série d’évènements dans ma vie, jusqu’à l’écriture de mon livre: “La Terre Accouche: histoire d’une humanité en gestation”.

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Marma

Political thinker, amateur philosopher, crypto-enthusiast and recently awakened to a spiritual transcendental reality.. www.marma.life